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Derwiz Ron Kornôg

Ar mizioù du - Les mois noirs

21 Novembre 2014 , Rédigé par /|\Ron Kornôg

Ar mizioù du - Les mois noirs

C'est l'automne. Peut-être la saison qui me charme le plus bien que le printemps fragile ou l'été opulent m'impressionnent également. Un été qui s'est même accentué et éternisé sur toute la Bretagne après le départ des estivants et de la diaspora bretonne.

Les journées de soleil se sont succédé avec de la chaleur jusqu'aux crépuscules, les températures restaient douces toutes les nuits tout le mois de septembre et jusqu'en octobre, permettant de garder les fenêtres ouvertes. Pas de pluie pendant des semaines, pas de froid, la végétation commençait à peine à dorer car la belle saison fut humide, surtout en août, garantissant une certaine vigueur aux bois et prairies. J'ai même pu glaner quelques girolles au moment de l'équinoxe réveillant en moi cette frénésie chronique de cueillettes prometteuses!

Avec une certaine impatience j'ai vu s'inviter les premiers cumulus, dispensant avec parcimonie quelques grains. Mais le beau temps se sera maintenu jusqu'à Heven-Samain, avec de rares averses, et une nuit particulièrement étoilée lors de la rituélie le 2 novembre. Ce n'est qu'après ces festivités que le climat est devenu automnal, comme si l'été avait attendu le moment ultime, s'en aller avec les En-allés, vers les profondeurs de la saison sombre, les mois noirs comme on dit ici.

Les jours ont considérablement raccourci, allongeant les nuits, ce qui modifie maintenant les micros climats et les éco-systèmes. Les cultures de maïs ont été rasées rapidement sans que les lourdes machines se soient enfoncées jusqu'aux essieux, laissant place à des surfaces pelées et hérissées de picots bien alignés. Bientôt les blés sont semés. Les effluves d'humus sont persistantes jusque dans les bourgs, le soleil ne s'élève plus aussi haut à la mi-journée et ne nous prête que quelques rayons blancs, horizontaux, qui meurent le soir dans une lueur vermillon.

Un lendemain sans relief se déverse en fortes pluies, ruisselantes en bouillons dans les ruelles pavées de mon vieux village assombri. Les collines sont gommées par un épais matelas nuageux qui n'incite pas à la promenade, allumons un bon feu de cheminée et contemplons les larmes du ciel qui inondent les fenêtres.

Après une journée d'éclaircie dans les fumerolles des brumes, le vent vire à nouveau à l'ouest et ne tarde pas à amener le gros temps. On ne verra pas Belenos se coucher. Dès le milieu de l'après-midi d'énormes masses noires écrasent les campagnes illuminées, dans un impressionnant contraste, bientôt détrempées par la tempête. Toute la nuit la pluie battante cingle les hameaux, inonde les routes désertes et revigore les ruisseaux.

Trois jours de mauvais temps autour de la nouvelle lune menèrent à une accalmie azurée bienvenue. L'automne est vraiment établi, tournant impitoyablement le chapitre de l'été sans fin, les sols se gorgent d'eau, les températures sont devenues fraîches et les journées connaissent chacune au moins un épisode pluvieux.

A la faveur d'un peu de clémence du ciel, j'enfile bottes et vieux caban élimé aux manches, attrape mon panier en clisse de châtaignier et mon fidèle opinel (30 ans) puis gagne les hauteurs boisées de la Garenne et du Jaugan. Cette fois les sous-bois sont bien trempés, les sols mous et silencieux sous mes pas, qui dégagent cette douce odeur de terreau frais. Quelle atmosphère magique que toutes ces couleurs de feu, d'ocres et de bronze! L'humidité ambiante étend ses vastes tentures bleutées derrière les troncs parfois illuminés d'un rare rayon de soleil. Quelle merveille que ces rivières dorées, suspendues et immobiles dans les airs, myriades d'étincelles des feuilles vermeilles, rouges, vertes!

Quelques pieds-de-moutons m'arrachent à la contemplation et me rappellent à la fouille du tapis roux. Sous des branches mortes, noires et luisantes, derrière les souches couvertes de sphaignes, ou en plein milieu d'un espace dégagé, quelques délicats laquarias violets rejoignent deux ou trois bolets dans mon panier. Je contourne un massif de pins parasols, dont le sol acide est peu propice à la croissance des champignons, et regagne les feuillus qui m'offrent sans tarder deux beaux cèpes dont je m'empare en tranchant doucement la base du pied afin de ne pas rompre le mycélium.

Le relief du sous-bois devient plus accidenté, avec quelques énormes affleurements rocheux, partiellement recouverts de mousse verte et mordorée. C'est un coin qui recèle quelquefois de succulentes chanterelles en tube et j'en retrouve en effet quelques unes mais peu nombreuses. J'épargne les petites que je reviendrai ramasser plus tard, si d'autres amateurs ou animaux sauvages ne les ont gobées!

Poursuivant ma promenade je découvre avec une grande surprise un spécimen extrêmement rare, inimitable et absolument superbe dans son allure, un magnifique "Boletus Satanas", rouge vif du pied aux sporanges avec un chapeau neigeux. C'est le seul bolet dangereux et qui porte bien son nom du fait de son apparence et de sa toxicité! On l'appelle aussi bolet rutilant ou bolet de Satan.

Ar mizioù du - Les mois noirs
Ar mizioù du - Les mois noirs
Ar mizioù du - Les mois noirs
Ar mizioù du - Les mois noirs
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Ar mizioù du - Les mois noirs
Ar mizioù du - Les mois noirs
Ar mizioù du - Les mois noirs
Ar mizioù du - Les mois noirs
Ar mizioù du - Les mois noirs

Beaucoup de champignons ont de belles apparences, les plus dangereux sont même fort beaux, ayant un pouvoir de séduction tout particulier. Voir la violente et mortelle amanite phalloïde, majestueuse sur son pied charnu à la blancheur immaculée, ceinte d'une courte jupe toute aussi blême et au dessus du chapeau d'un vert profond, olive au centre et citronné sur son contour. Dans la même veine, la superbe amanite tue-mouche d'un rouge vif et appétissant parsemé de flocons blancs, anciens résidus de la volve, est réputée hallucinogène si l'on absorbe quelques lambeaux du chapeau et s'avère même extrêmement vénéneuse en cas d'ingestion importante.

Notez que tout champignon a la particularité de concentrer en sa masse toutes les substances avoisinantes, aussi vous inciterais-je vivement à ne pas en ramasser à proximité des routes, surtout les plus fréquentées, à cause des hydrocarbures, des suies, solvants et autres liquides ou particules polluantes.

Enfin la consommation de champignons toxiques ou vénéneux, en proportion du volume ingéré peu détruire partiellement ou totalement, de manière irréversible foie et pancréas.

Par conséquent on ne cueille QUE ce dont on connaît avec certitude, quitte à réserver un second panier pour l'étude. A moins d'être fin connaisseur, sinon mycologue averti, toujours se faire accompagner par un ramasseur ou une ramasseuse très aguerri(e) pour éviter les risques d'accident.

Après plusieurs heures passées à arpenter les bois, mon panier s'est bien garni de diverses variétés, ce qui flatte ma gourmandise. Mais il commence aussi à faire plus sombre et je prends le chemin du retour, à rebours et approximativement du trajet parcouru car il n'est pas rare d'avoir loupé de beaux exemplaires pendant l'aller. Il est temps de regagner le bourg, blotti au pied des landes de Lanvaux, sur le versant nord le long de l'Oust. Longeant les orées forestières je perçois déjà les odeurs de feu de bois, contemplant les fumées qui s'échappent en écheveaux des cheminées.

De retour à la maison, je ne tarderai pas à faire une flambée moi aussi puis m'adonnerai à l'épluchage minutieux de ma cueillette. Avec la promesse convaincue d'une prochaine sortie!

Mais nous avancerons encore dans la saison sombre, les mois noirs, ar mizhioù du, bien nommés par la longueur de chaque nuit et cette sensation que le jour parfois ne se lève pas, tant la couverture nuageuse est épaisse et la densité des pluies importante.

De fait, début décembre, une dépression très creuse vient se lamenter sur notre Armorique à la faveur d'une marée à fort coefficient. Un temps noir et venteux qui ne tarde pas à détremper les campagnes en balayant bruyamment les côtes. Un coup de torchon comme on en voit fréquemment chez nous et qui colle à la terre plusieurs jours. Il n'y a d'ailleurs plus aucun oiseau qui n'ose s'aventurer dans les airs, à part quelques freux téméraires. Des tourbillons de feuilles rousses qui caracolent en rubans endiablés, envahissant routes et fossés dans un balai échevelé, les confettis jaunes et rouges tombent en averses dans la bourrasque à longueur de journées. A moins de se vêtir efficacement pour admirer ce spectacle, d'aucun préférera rester à l'abri en attendant l'accalmie. Un coup de vent qui dure jusque tard dans la nuit, faisant siffler les toitures et gémir les arbres, incitant à sombrer au pays des rêves sous un énorme édredon.

C'est un jour nouveau qui révèle un paysage transfiguré, comme si on se réveillait après une très longue torpeur. Il ne pleut plus et le vent a disparu, laissant place à un temps blême, luminescent et frais. Les couleurs se sont éteintes, les forêts sont complètement dénudées, révélant sans pudeur la tristesse des troncs. Les haies vives décharnées ont perdu toutes leurs feuilles, laissant apparaître les ronciers et la toison des lierres, tout comme les massifs boisés qui ne conservent plus qu'un peu de chevelure hirsute et sombre des pins marins ou la rousseur de quelques touffes oubliées sur les chênes. Pas de doute, l'hiver approche, bientôt les festivités du solstice d'hiver ou de Ginivelezh...

Quelques magnifiques images par l'artiste-photographe Philippe Manguin tirées de son nouvel ouvrage "Lumières de Brocéliande"
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